Maman
Ne parlait pas
Ou si peu
Il faut dire
Qu’elle avait dû
Dès l’enfance
Ravaler sa langue
Pour s’intégrer
A ses petits copains de classe
Si bien que c’est à l’école
Que j’appris l’espagnol
Maman ne parlait pas
Mais elle chantait
Tino Rossi et Charles Trenet
Et le Besame mucho
Les jours de grand soleil
Elle communiait aussi
Mais pas à l’église
En cachette
Derrière son journal
Avec ses fantômes
C’est ainsi qu’un jour mon grand frère apprit
En feuilletant le livret de famille
Qu’elle avait eu une autre vie avant nous
Ce fût alors le début de ma carrière de romancier
Je lui inventais des aventures amoureuses
Des châteaux en Espagne
Et toutes sortes de fabuleux voyages
Maman ne parlait pas
Mais elle savait dire
Autrement
Par son regard
Et ses gestes attentionnés
Tout l’amour qu’elle portait aux siens
Son mari
Ses enfants
Sa famille
Et tout ceux dont elle avait croisé le chemin
Et pour qui elle avait une pensée
Maman
Ma silencieuse
Ma délicieuse
Maman
Petit poucet rêveur
Qui revenait de chacune de ses promenades
Avec dans ses poches
Pierres et cailloux
Qu’elle conservait reliques du temps qui passe
Je ne voulais pas qu’elle parte si vite
Maman
J’ai même pensé la sortir de ce mauvais pas
Par la seule force de mon esprit
Quand la maladie lui est tombée dessus
Mais on ne retient pas les gens qu’on aime
Et au mois de mai deux mille sept
Après avoir dit au revoir à ses proches
Elle s’en est allée
Au moment de quitter la terre des hommes
Par politesse
Elle prit soin de m’envoyer un signe
Pour me dire adieu
Juste avant la sonnerie du téléphone
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