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8 mai 2010 6 08 /05 /mai /2010 14:44

L’acier naît de la forge

 

 

La poésie est la forme imaginaire de la réalité.

 

César Pavese

 

 

 

à Claude Gobet & Jef Froment

 

 

 

Il y a sept ans, le collectif des éditions Bérénice lançait un livre collectif intitulé Culture pour tous, dans la collection Cétacé qui se propose d’être un outil d’invention de la démocratie et de la liberté en direction de tous les citoyens. Ce livre regroupait seize interventions sur l’art et la culture ; on avait à cœur de poser la culture au cœur même du combat politique et culturel, comme postulat gramscien, après le désastre de l’élection présidentielle de 1995, la faillite des valeurs républicaines, dans un contexte de montée de l’extrême droite qui connut finalement son paroxysme en avril 2002. Ainsi, ce que nous redoutions, ce que les politiques n’ont voulu voir ou n’ont pas eu le courage de mettre en œuvre, a marqué au fer ces dernières années de confusion avec l’explosion des lignes et la fin du politique. Si les combats culturels menés n’ont pas eu les résultats escomptés, elle est devenue pour moi l’indispensable tuteur de ma vie.

 

Bien que, à l’origine, la culture, c’est ce que je n’aimais pas. Oui, à la réflexion, c’est ce que j’ai rejeté dans un premier temps, lors du tout premier contact. J’y reviendrai, jusqu’au retournement, ce qui a entraîné ensuite l’adhésion, l’extrême surprise de la découverte qui a tout remis en question, mon passé, la vie, l’histoire du monde, ma vie…

 

Un exemple, parmi d’autres ; le film de Claude Sautet Vincent, François, Paul et les autres avec Yves Montant, Michel Piccoli, Gérard Depardieu et Serge Reggiani… Je voyais au sortir de l’enfance des extraits de ce film à la télévision, lors de l’émission La séquence du spectateur, et je trouvais ce cinéma inintéressant au possible. Je ne savais pas alors ce qu’était le 7ème art. Je ne l’ai su que plus tard, par hasard, sur les bancs de l’Université à Sciences Po Lyon ; je suivais alors un cours, un séminaire selon la terminologie alors usitée, sur le cinéma que donnait un professeur qui enseignait aussi à l’école de cinéma de Genève ; il était aussi critique au magazine Révolution. Nous étudiâmes au cours de l’année Spionen de Fritz Lang et Ossessione de Luchino Visconti. En présentant le contexte socio-historique, en remettant le film et ses auteurs dans le contexte politique de leur époque, le professeur nous parlait de l’œuvre en train de se faire, des comédiens et du réalisateur qui construisaient une œuvre d’art qui parlait aux spectateurs. Ce fut pour moi une vraie découverte. Ainsi un être humain contribuait à mettre en place dans la tête de ses étudiants les pièces d’un puzzle, les données que nous détenions éparpillées et les agençait pour leur donner tout leur sens.

 

La culture c’est cela : à partir d’informations, de connaissances, de données a priori élémentaires, factuelles, se met en place un raisonnement, une approche globalisante de connaissances et d’expériences qui traduisent chez l’individu, ou une classe sociale, un ressenti puis un émerveillement, un nouveau souffle qui peut parfois sous la violence de l’effet entraîner une véritable renaissance.

 

Car la culture permet aux hommes de renaître d’un état premier pour les faire accéder à un stade supérieur ; ce processus peut être comparé à la prise de conscience politique quand, d’un coup, après un temps d’incubation, l’être pensant se transforme pour accéder à un nouveau seuil d’humanité ; à un être réfléchissant qui précède parfois l’acte, le passage à l’action, manifestation de la vie ou comment agir positivement sur la cité à partir d’une réflexion subjective, c’est-à-dire comment atteindre l’unité à partir de la manifestation collective de la volonté personnelle pour changer le cours injuste des choses.

 

Cet état culturel, tout être le possède à partir du moment où il est lié à un milieu géographique, historique, familial et politique. Cet état se développe et se renforce si l’individu touché par cette forme de grâce rejoint la communauté des hommes s’il met en œuvre une pratique culturelle qui se définit généralement par la recherche de la beauté dans le domaine des arts.

 

Etre acteur dans le domaine culturel ou soutenir la culture en défendant un mouvement culturel ou un artiste, élève l’individu à un degré supérieur de son humanité, ne le laisse pas passif devant la vie en général, le transforme en le faisant acteur de sa propre vie.

 

Celui qui en effet s’intéressera à la poésie pourra faire le lien avec la littérature, mais aussi l’histoire, la philosophie voire les sciences dures. J’ai écris pour Chantal Portillo et ses rendez-vous littéraires de la Mairie du XXème arrondissement de Paris le texte suivant :

 

Ecrire, c’est travailler. Non pas un travail pour survivre, mais pour vivre tout simplement. C’est un besoin, une nécessité. Écrire revient à se déchirer le corps, le cœur et l’âme. C’est inventer pour mieux se réinventer, c’est respirer et jouir, c’est rire à en pleurer. Ecrire c’est construire un édifice jamais terminé, c’est inventer sa vie, mêler le vrai au faux d’où sortira une possible vérité.

Ecrire est mon oxygène. Mes poèmes sont mon sang. Mon sens. Je suis écrivain parce que je suis communiste. Libre et rebelle. Sincère et crédule. Toujours en marge et en quête du beau. Ecrire, c’est tenter de changer mon lecteur et le monde.

 

Cette démarche peut sembler utopique, un rien coupée de la réalité du monde et notamment des contraintes économiques…

Mais récemment, j’ai revu ou plutôt vu vraiment le film de Sautet que j’évoquais ; ce fut un moment exceptionnel, d’une intensité qui m’a fait monter les larmes aux yeux. Non seulement j’eus conscience que Sautet était un véritable génie mais que son film a priori inodore et incolore, selon mes souvenirs adolescents, faisait un portrait exceptionnel de la France des années 1970, sur le point économique, politique, sur le changement de société en train de s’opérer, sur les mœurs aussi…

 

Rares furent les moments de ma vie où une lecture intense m’a autant bouleversé, mis à part la lecture des romans d’Aragon dont La Semaine sainte, les œuvres poétiques, cinématographique de Pasolini, en particulier ses essais Les écrits corsaires, d’une étonnante modernité, les œuvres poétiques de Richard Brautigan et de Raymond Carver, les romans de Beppe Fenoglio…

Ainsi depuis une vingtaine d’années, ma quête culturelle consiste à chercher et à renouveler de telles expériences, de découverte d’œuvres d’art (littéraires ou cinématographiques – pour ce qui concerne mes préférences à moi), d’effectuer de véritables recherches scientifiques, en lisant, en apprenant, par une démarche de connaissance, ce qui a pu motiver la construction d’une œuvre, nourrissant par ricochet la mienne en train de se réaliser.

 

C’est pourquoi si je suis né dans un milieu familial où il n’existait qu’un rayon de polar de la Série Noire, et si ma grand-mère paternelle a lu toute sa vie le même roman, le Robin des Bois de Walter Scott, aucun livre, aucune BD ne m’a jamais été refusé… A sept ans je lisais Les pieds nickelés, à onze les versions intégrales de L’Iliade et L’Odyssée, à l’adolescence j’ai lu cinquante romans de  Jules Vernes. J’ai été libre de lire ce que je voulais.

Ces lectures m’ont construit et m’ont aidé à grandir,  notamment en écrivant. Elles m’ont nourri et permis de survivre. Elles m’ont rendu plus fort que je ne l’étais à l’origine. Aujourd’hui, en ayant la prétention d’être auteur, poète, même si les miens ne me lisent pas et que mes amis sont fort réticents à la critique de mes nombreux textes, je sais que je suis sur la bonne voie.

 

La culture est une aventure très personnelle, la nier ou la rejeter c’est se nier et se rejeter soi-même, c’est rester dans les limbes immatures de l’enfance ou d’une adolescence destructrice qui peut briser des vies. C’est par conséquent un acte de choix positif responsable.

La culture est un phénomène intime et personnel qui par définition ne peut jamais s’arrêter, et pour un artiste, un auteur, c’est ce qui permet de dépasser les limites de la vie quotidienne, de s’envoler vers un autre espace entre le conscient et l’inconscient qui commande les yeux, la main qui pensent et qui écrivent, parfois malgré soi, permettant ainsi de se découvrir, de se redécouvrir…

Mais la culture peut être suscitée et soutenue ou devrait l’être par la collectivité. Elle s’acquiert, elle devrait trouver ses racines, à l’école puis à l’université pour donner les bases indispensables de la connaissance et de la libre pensée à la majorité de chaque génération. La culture est un enjeu politique et symbolique extrêmement puissant.

En priver le plus grand nombre, c’est briser les béquilles d’un cul-de-jatte ! C’est maintenir dans l’aveuglement narcissique des générations d’enfants et d’adolescents réduits à l’état de consommateurs dégénérés… C’est surtout nier la liberté et l’ensemble des potentiels qui peuvent en découler, sur les plans artistiques bien sûr, mais aussi sur les plans sociaux et économiques pour les destinées d’une nation toute entière…

Si pour les fascismes et les religions prime surtout le culte de la mort, la culture forme le terreau de la liberté, de la beauté et de la vie. C’est là son horizon indépassable ; c’est aussi l’inaccessible étoile pour les artistes.

 

Si j’ai pu faire l’effort de lire, de chercher durant près de 25 ans avant de tenter d’écrire pendant 20 autres années durant, je l’ai fait de mon plein gré, en ne refusant jamais les difficultés, en ayant soif de découvrir sans cesse, en dépassant mes limites personnelles hélas fort nombreuses, pour accéder à cet état indicible de liberté, de concentration de conscience pour me séparer il est vrai des hommes d’une certaine manière mais pour me rapprocher dans le même temps de l’humanité toute entière. C’est la grandeur de cette démarche et à la fois sa faiblesse pour réinventer ma propre vie.

Et pour ceux qui n’auraient pas compris que l’apprentissage de la culture est un travail, un véritable labeur, ils n’auront rien compris à la dimension humaine et humble de ce choix insensé.

Au début, la culture c’est vers quoi l’on se détourne, naturellement, tout simplement ; car la difficulté est le plus souvent réfutée par les hommes. Et pour entrer dans une œuvre, cela demande des efforts, de l’assiduité, une soif de vouloir… En passant et dépassant cette étape, je me suis personnellement donné les moyens de mieux connaître le monde et de mieux me connaître, mes forces et mes faiblesses aussi.

Ainsi, au moment de quitter cette terre, je pourrai m’avouer que j’aurais vécu la vie que je m’étais d’une certaine manière choisie, en toute liberté !

 

 

Jean-M. Platier

 

 

Annexe poétique

 

 

Contre société

 

 

 

Leurs doigts tressent aujourd’hui des fils invisibles

Leurs mines noyées d’amertume

Les usines transformées en musées anthropologiques

Alors que devant les grilles

Les hommes attendent la cigarette aux lèvres

Le regard vide leur chèque sitôt reçu sitôt bu

S’ils sont moins fatigués par les heures ou les pièces fabriquées

Dans le souvenir du rêve industriel

Ils sont usés et ne savent épeler les heures ni les jours

Ralentis par leur poids mort minés laminés

Par le sort ou par la bourgeoisie

A quel sort se joue le sens de leur vie

 

Ton siècle brandi

De ton sel et de ton sang

Monté à cru

Pirate des certitudes

Fracassé foudroyé

Et perdu dans cette soudaine solitude

 

Générations empilées

Avec pour ciment l’espoir politique

Vos enfants aujourd’hui ne s’appartiennent plus

Générations sans mémoire

Génération dispersée absente

Entrée dans le mouvement sans retour

 

Langue dispersée et trahie

Ce pays qui est le mien a perdu

Ses us et coutumes et sa culture

Qui avaient le mérite d’exister

Mais le peuple a perdu sa langue

Devenue idiome sabir infirme

Langue niée projetée vers le néant

Une génération de compromis

Qui ont finalement laissé un champ de ruines

 

Ma langue est mon drapeau

Et je lègue à mes filles nées ou à naître

De mère française et étrangère

La grammaire de mes origines

Ma mère née sur cette terre jurassienne

De parents immigrés

Entre l’objet politique

Et la facilité économique

Je ne renie rien

Ma langue est mon sang

Terni par la mode angliciste

La langue des commerçants et des « in »

Ma langue est celle des pays d’oc et d’oïl

Les langues celtes et latines transformées

En langue de la République

Ne vous en déplaise

Et les mots n’y pourront rien changer

Puisqu’ils sont gravés dans les pierres

Et que ma langue est celle de la poésie

Tenez-vous le pour dit

 

 

in Pour tous ! Démocratiser l’accès à la culture 1789 2009, éd. la passe du vent, Collection Haute mémoire, 2009.

 

 

 

Dans la filiation de la Révolution, la Constitution de la République française proclame depuis 1946 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». De Condorcet à André Malraux en passant par Victor Hugo, Jean Jaurès, Joanny Berlioz ou Jean Vilar, ils ont été nombreux à nourrir par leurs discours inspirés la belle utopie qu’en 1960, Gaëtan Picon, directeur général des arts et lettres, exprimait en ces termes : « Qu’est-ce qu’une beauté qui n’existe pas pour tous ? Qu’est-ce qu’une vérité qui n’existe pas pour tous ? Que la culture n’existe que pour quelques-uns, c’est un scandale qui doit cesser et que la démocratie s’emploie à faire cesser depuis qu’elle existe ».

 

Joanny Berlioz, François-Antoine Boissy-D’Anglas, Lionel Bourg, Condorcet, Jacques Duhamel, Fantazio, Hassan Guaid, Victor Hugo, Jean Jaurès, Jack Lang, Yvon Le Men, André Malraux, Samira Negrouche, Gérard Noiret, Emmanuelle Pireyre, Jean-Michel Platier, Didier Pobel, Jean-Jacques Queyranne, Jacques Rigaud, Romain Rolland, Valère Staraselski, Jean Vilar, Annie Zadek.

 

Comme dans les précédents ouvrages de la collection Haute Mémoire, des contributions d’auteurs contemporains se mêlent aux grands textes historiques, faisant ainsi dialoguer discours d’hier et discours d’aujourd’hui.

 

ISBN 978-2-84562-159-6

176 pages

10 euros

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