De Thierry RENARD, le 24 mars 2010 à 00:41
à Stéphane Juranics
« J’avais peur, je le répète. Et, en même temps, je commençai aussi à me souvenir. Et, commençant à me souvenir, je pris une cigarette dans ma poche et l’allumai. »
Elio Vittorini, Conversation en Sicile.
Mes vieux démons s’ébattent
Dans la nuit
Et plus rien ne me retient
Noire est ma nuit noire
Quand le sort
Se joue
De moi…
*
J’ai longuement marché dans mon livre
Et j’ai
Bien plus souvent qu’à mon tour été
Le témoin de la souffrance du monde
Tout en marchant j’ai trouvé l’écriture du silence
Après avoir durablement et péniblement écrit
La parole parlée
Aujourd’hui je ne m’exprime pas
J’exprime !
Le rire le cri et le murmure
L'image la métaphore la poésie même
La parole neuve jamais
N’est rejetée
En marchant j’ai rencontré
Une parole d’avant la parole
Et cet avant maintenant m'escorte
La véritable pureté n’est
Ni innocente ni innocence
La véritable pureté n’est pas à vendre
Et les mots sont
Tous tellement dangereux
Et nous sommes tous encerclés
Par une clôture métaphysique.
*
Maintenant je me souviens
Je me souviens je me souviens…
Du long week-end à Chicoutimi
D’Alger-Québec mode d’emploi
Des allers et des retours entre
Nohant-Vic et Ventimiglia
Je me souviens encore de tout cela
Dans mon livre j’ai longuement marché
Avec toujours les mêmes mots
Et toujours les mêmes chagrins
En empruntant toujours le même chemin
Mais j’ai changé de peau
Comme le serpent
*
Rien n’est infranchissable
Pas même cette barrière mentale
Qui sépare notre esprit de notre corps
Pas même ces hauts murs
Qui nous enserrent
Rien n’est insurmontable
Et nous sommes inlassablement embarqués
Dans l’étrange aventure humaine
Et si nous décrivons le monde qui nous entoure
Nous écrivons ce qui toujours tous nous réunit
La mer les pluies le besoin le désir
Et la lutte contre la mort
Et pareillement nous créons
Des mythes décisifs pour notre conduite
Et encore nous rions chantons buvons
En attendant simplement
Qu’il se produise quelque chose
Quelque chose d’immense d’invraisemblable
Non nous ne pourrions point
Vivre sans notre art
C’est pourquoi invariablement
Nous manions la plume
C’est pourquoi tout le temps nous gardons
Le cœur et les yeux grands ouverts
*
Toujours cette même irrespirable
Insupportable angoisse
Alors que je parais être au mieux
De ma forme
En ce moment
Et confortablement installé
Déjà en moi descendu
Cette situation incompréhensible presque
Cette insoutenable angoisse même
Mais comme d’autres pourtant je conserve
Le cœur et les yeux grands ouverts
Sur le monde depuis lequel
Nous causons nous parions nous plions
Ce monde depuis lequel nous vagabondons
Patrick Laupin le poète lui-même
Un jour
A déclaré
Mais encore inconsolable
Et aussi impardonnable
Et sans doute surtout infréquentable
Imbattable intraitable insondable
Intolérable inatteignable
Maintenant l’homme
Ou désormais
Aux yeux aveugles et au cœur éteint.
*
C’est pourquoi parfois vers le soir
Sur la plage au bord de la mer
Nous fumons une MS ou deux
En attendant patiemment
Que quelque chose se passe
Quelque chose enfin d’immense et bleu
Et le vent soudain se déchaîne
Et la mer soudain s’agite
Le bruit que font les vagues monte
L’écume blanche sur leur crête
Vient mourir à nos pieds
Dans le ciel les mouettes immobiles
Sont comme suspendues
Le couchant lui est intact
Et le soleil rouge vif rouge feu
Quand la mer atteint
Ses trois niveaux de bleu
La baignade est fortement déconseillée
Hier soir sur la colline aux oliviers
Nous nous sommes sentis disponibles
Et ouverts comme une aube
Lorsque le jour va naître
*
Nous n’avons commis aucun acte de reniement
Jamais !
Pour nous dormir est un médicament
Dormir court sur la peau
Comme le souffle court et coupé du vent
Dormir favorise le ralliement
De nos plus faibles forces
Et de nos énergies les plus solaires
Nous voudrions seulement faire l’amour
Et encore cela dépend de la couleur du jour
Nous voudrions travailler vite
Ne pas trop nous perdre nous fatiguer
Et demeurer libres francs
*
Ici frères
La formule est exacte
Tout en marchant sous le soleil des hommes
Nous espérons bien vieillir nous aussi
En très grande forme ou au moins en bonne santé
Nous espérons le monde au bout des doigts
Et nos regards se croisent par miracle et par instants
Nous sommes presque devenus
Petit à petit à la longue avec le temps
D’honnêtes passants
Des humains considérables !
*
Marchant à pas lents
Sur le front de mer
Ces pensées qui soudain
Me troublent puis m’envahissent
L’art devra encore surgir
Devant le crime !
Mais cette incapacité à formuler
Le moindre mot la moindre phrase
Cette impuissance à brandir haut
Le bras la main le poing
À bomber le torse
À tendre les muscles
Vers l’horizon bleuté
À redresser encore mon membre nu
L’arc de mon corps parfois ne bande plus.
*
J’allais l’âme en peine
Je m’étais fort longtemps dispersé
Un matin je me suis abstenu de taire
J’avais parcouru alors
En un éclair
Mille étoiles filantes
On emprunte toujours à ses maîtres
On leur doit presque tout
On attend et l’on exige
Beaucoup de ses maîtres
Et les miens sont nombreux
On pardonne tout à ses maîtres
On leur doit tant…
Les miens en effet sont si nombreux
Vivants et morts c’est insensé
Je pourrais bien un ou deux en citer
Parmi les vivants par exemple
Mais je ne préfère pas
Cela produirait entre eux
De la jalousie
Demain frères
Serons-nous prêts
À retrousser nos manches
À gravir toutes les marches
Et à nous rendre
Jusqu’aux « confins de l’État »
Jusqu’aux frontières
De la poésie ?
commenter cet article …